« Sitting is the new smoking ». Aujourd’hui en France, la sédentarité, le temps assis ou couché et l’insuffisance d’activité physique quotidienne tuent plus que le tabac. Tsunami sanitaire, bombe à retardement, les expressions multiples traduisent l’urgence de la situation sanitaire dans notre pays. Allons-nous, comme pour le réchauffement climatique, attendre de voir arriver les catastrophes pour réagir ? Ces adolescents qui ont perdu 30% de leurs capacités cardio respiratoires en 40 ans, ces 750 000 à 1 million de malades chroniques supplémentaires chaque année sont impossible à prendre en charge tant économiquement qu’en personnels soignants. » Dr Valérie Fourneyron, ancienne ministre, Présidente International Testing Agency, Administratrice Matmut
Si les bienfaits de l’activité physique sur la santé sont démontrés depuis longtemps, leur prise en compte dans les politiques publiques a été amorcé dans les années 2000. Il aura fallu attendre 2016 pour que le concept de sport-santé s’institutionnalise réellement, notamment grâce au développement du sport sur ordonnance. Le développement et la structuration des villes sport-santé et la stratégie sport-santé 2019-2024 ont également marqué une étape clé dans cette démarche.
Mais alors que cette stratégie est arrivée à son terme et que les Jeux olympiques et paralympiques, aux côtés de la Grande cause nationale dédiée à la promotion de l’activité physique et sportive, ont braqué les projecteurs sur son importance, l’enjeu est désormais clair : transformer cet élan en un changement durable et structuré.
Olbia Conseil vous propose un premier bilan des travaux réalisées, avant d’explorer les perspectives et les enjeux à venir du secteur.
L’intégration du sport-santé en France
Lentement reconnu comme un enjeu de santé publique, l’activité physique a été intégrée dans le cadre législatif qui a progressivement affirmé son rôle clé comme pilier de la prévention et de la prise en charge thérapeutique.
– 2001 : lancement du Programme national nutrition santé reconnaissant l’activité physique comme un levier de prévention de santé publique. – 2004 : loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, intégrant la promotion de l’activité physique comme un levier de prévention contre diverses pathologies. – 2006 : 2ème Programme national nutrition santé. – 2008 : Plan national de prévention par les activités physiques ou sportives. – 2011 : 3ème Programme national nutrition santé où l’activité physique est intégrée comme axe majeur. – 2012 : élaboration du Plan national sport, santé, bien-être pour reconnaitre l’importance de l’activité physique adaptée et l’intégrer dans les parcours de soins. – 2016 : introduction du dispositif « sport sur ordonnance » par la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation du système de santé, permettant aux médecins de prescrire de l’activité physique aux patients atteints d’Affections longues durée (ALD). – 2019 : Stratégie nationale sport santé 2019-2024 pour encourager l’activité physique pour tous, intégrer le sport dans les parcours de soins et former les professionnels de santé à la prescription de l’Activité physique adaptée (APA). – 2022 : création du statut de« Maisons Sport-Santé » via la loi n° 2022-296 du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France. |
Ce cadre législatif structurant a permis d’accélérer le développement du sport-santé en France, favorisant la mise en place d’initiatives nationales et d’expérimentations innovantes :
1. Intensification de la stratégie de communication pour faire du sport un réflexe pour tous
Normaliser la pratique sportive dans le quotidien des Français a fait l’objet d’une stratégie de communication ambitieuse. La Grande cause nationale 2024, dédiée à la promotion de l’activité physique, a déployé des messages engageants autour du slogan phare : « Bouge 30 minutes par jour ». L’opportunité des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 a été pleinement exploitée pour ancrer cette dynamique, en mettant un accent particulier sur l’engagement des jeunes générations dans la pratique d’une activité physique et sportive dès le plus jeune âge. Le sport à l’école est ainsi renforcé avec :
- Le label « Génération 2024 », déjà attribué à plus de 11 000 établissements scolaires, favorisant entre autres les partenariats entre les établissements scolaires et les clubs sportifs.
- Le déploiement de dispositifs incitatifs comme le Pass’Sport et l’ajout dans le programme des écoles primaires de 30’ d’activité physique quotidienne à la rentrée 2024.
2. Ancrer l’Activité physique adaptée dans les parcours de soins
Le Sport sur ordonnance et les Maisons Sport-Santé sont deux dispositifs clés qui renforcent la place du sport comme outil thérapeutique. L’élargissement du sport sur ordonnance en 2021 a consolidé la reconnaissance de l’activité physique comme une thérapie non médicamenteuse, à la fois préventive et curative. En 2020, 16 % des Français déclaraient en avoir bénéficié[1]. En parallèle, le réseau des Maisons sport-santé, avec 573 structures labellisées en 2023, a permis d’accompagner 360 000 personnes entre 2019 et 2023[2][3] pour intégrer une APA dans leur quotidien. Ces dispositifs assurent un suivi encadré et sécurisé, en accord avec les prescriptions médicales.
3. Valoriser les expérimentations innovantes
Introduit en 2017, l’article 51 de la Loi de financement de la sécurité sociale a permis le développement de plusieurs modèles innovants intégrant davantage l’activité physique dans les parcours de soins :
- « As du cœur » par Azur sport santé prolonge la phase de réadaptation cardiaque par une pratique d’APA régulière, complété par un soutien motivationnel chez des patients ayant vécu un accident cardiaque. Son succès, marqué par une réduction de 30% des dépenses, a permis une économie de 1,5 M€ sur le suivi de 466 patients en un an, ce qui aurait dû conduire à une généralisation dans le droit commun en 2025, repoussée lors des votes mouvementés du PLFSS.
- L’initiative « APACO » par Kiplin Santé est une thérapie non médicamenteuse sous format digital. Destiné aux patients atteints de maladies chroniques, ce programme vise à améliorer l’impact médico-économique de leur suivi médical.
- Le programme « CAMI Sport & Cancer » intègre l’APA à visée thérapeutique dès la phase aiguë du parcours de soins en oncologie. Expérimenté auprès de 1 000 patients atteints de cancers, il vise à démontrer l’efficacité de l’APA encadrée par des professionnels formés. Son objectif est de généraliser son accessibilité en oncologie.
Ces expérimentations et beaucoup d’autres initiatives convergent pour démontrer les gains médico-économiques de l’activité physique et favoriser leur généralisation.
Les prochains défis à relever pour les acteurs du sport santé
Face à une sédentarité croissante et à l’explosion des maladies chroniques, la France doit relever un double défi sanitaire et économique. Avec le vieillissement de la population et une inflation des coûts de santé, maîtriser ces dépenses devient crucial, d’autant que l’inactivité physique seule coûte déjà 17 milliards d’euros par an[4]. Au-delà de l’impératif légal de protection de la santé publique, l’efficacité médico-économique de l’activité physique est démontrée. Il ne s’agit plus de convaincre sur les bienfaits des dispositifs de sport-santé, mais d’accélérer leur intégration effective dans les parcours de soins.
Défi n°1 : structurer durablement la filière sport-santé
Le sport-santé doit être structuré de manière pérenne pour garantir son efficacité et devenir un véritable levier de santé publique. Cela passe notamment par la formation et la sensibilisation des professionnels de santé qui sont essentielles pour renforcer leur adhésion et favoriser une meilleure coordination avec les éducateurs APA. Notons que l’intégration de l’APA dans les parcours de soins passe surtout par son remboursement. Il est donc nécessaire de définir un cadre de prise en charge de la prescription sous la forme d’un forfait partagé entre l’Assurance Maladie et les complémentaires santé. Aujourd’hui encore, le sport-santé repose sur des expérimentations fragiles, sans cadre pérenne. Définir un modèle économique stable est une priorité pour assurer son déploiement à grande échelle.
Défi n°2 : améliorer l’accessibilité de l’APA à tous
L’accès au sport-santé demeure inégalitaire. Certains groupes, comme les femmes et les séniors sont surreprésentés, tandis que d’autres comme les jeunes adultes restent en marge du dispositif. Réduire les disparités géographiques est une priorité et le déploiement du numérique peut faciliter l’accès à l’APA dans les territoires moins couverts. Les freins socio-culturels constituent un obstacle tout aussi important. Les acteurs du sport-santé doivent continuer d’innover pour toucher ces populations qui restent éloignés, avec l’objectif que l’APA ne soit plus perçue comme un dispositif réservé à certains publics.
Défi n°3 : réformer le financement de la prévention
Historiquement centré sur le soin curatif, le système de santé français peine à opérer un virage vers la prévention. L’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam) conçu sur une logique annuelle, ne permet pas d’intégrer les objectifs de prévention à moyen et long terme, dont l’APA serait un des leviers majeurs. Or cette inertie a un coût ; sans investissement dans la prévention, 6 millions de nouveaux cas de maladies chroniques pourraient émerger d’ici 2030, alourdissant la facture de 10 milliards d’euros pour l’Assurance Maladie. Transformer l’Assurance Maladie en une « Assurance Santé » alignerait enfin les stratégies budgétaires sur les enjeux de santé publique. Cela garantirait aussi un financement pérenne pour les Maisons Sport-Santé, dont le modèle économique reste souvent fragile.
Défi n°4 : mieux évaluer l’impact des politiques publiques
Enfin, l’absence d’évaluations approfondies limite notre connaissance sur l’impact réel des politiques de prévention par l’activité physique, et donc, in fine, leur promotion. Il est essentiel de développer des outils de suivi et d’analyse permettant une mesure objective des bénéfices sanitaires et économiques du sport-santé comme cela a été réalisé pour l’initiative « As de cœur ». Le numérique pourrait jouer un rôle clé, en facilitant un suivi personnalisé et une évaluation en temps réel des programmes. Cependant, il faut veiller à éviter une fracture numérique, notamment pour les publics les plus précaires. Des startups innovantes contribuent déjà à cette transition, en intégrant le digital dans le sport-santé, comme Kunto qui élaborent des programmes et des suivis sportifs et nutritionnels pour les personnes atteintes de diabète.
« Lire, écrire, compter ET bouger. Sortir de la croyance du médicament qui peut tout : 90% des consultations médicales se terminent en France par la prescription de médicaments contre 44% dans les pays scandinaves ! Nous devons faire entrer l’activité physique, qui n’est pas que du sport, dans notre quotidien en prévention dans les parcours de soins. Les lignes bougent, les Jeux Olympiques et Paralympiques ont été comme la Grande Cause Nationale 2024 un dopant utile. Mais que c’est lent pour que la prise de conscience individuelle et la politique nationale de santé publique, traduisent dans les actes le slogan que j’aime à utiliser « le sport plutôt qu’une longue liste de médicaments ». Dr Valérie Fourneyron, ancienne ministre, Présidente International Testing Agency, Administratrice Matmut
[1] INJEP, Baromètre national des pratique sportives 2020, Février 2021
[2] INJEP, Les Maisons sport-santé : des enjeux de coordination, de légitimation et de financement, Juillet 2023
[3] Ministère des Sports, de la Jeunesse et de la Vie associative, Découvrez les Maisons Sport-Santé les plus proches de chez vous
[4] Préfecture de Nouvelle-Aquitaine, Dossiers : La Grand Cause nationale 2024
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