Le guide (presque) pessimiste du sport 2018 #8

Publié le 29 janvier 2018 à 11h51 dans Guide (presque) pessimiste du sport 2018

Vous connaissez peut-être le Guide pessimiste 2018 de Bloombergses auteurs ne font pas des prédictions, mais déroulent un scénario de politique-fiction de ce qui nous attendrait cette année si les choses tournaient mal. Nous avons récupéré le concept et pour faire le Guide (presque) pessimiste du sport 2018 Pour ce faire, nous avons demandé à plusieurs personnalités (chef d’entreprise, journaliste, parlementaire, professeur d’université…) de s’y essayer. Notre guide est « presque » pessimiste, car nous leur avons demandé d’imaginer une issue pas si pessimiste…

Nous poursuivons ce guide avec Régis Juanico, Député PS, co-président du groupe de travail de l’Assemblée nationale sur le Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024

 

Privatisation de la Française des Jeux : la troisième tentative sera-t-elle la bonne ?
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Mercredi 11 avril 2018 : le Ministre de l’économie et des Finances, Bruno Le Maire, présente devant le Conseil des Ministres son projet de loi « PACTE », plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises.
 
L’exécutif s’étant engagé à céder 10 Mds€ d’actifs dans les entreprises où il détient une participation d’ici 2020 pour alimenter un fonds en faveur de l’innovation, l’un des volets du texte de loi « PACTE » prévoit des cessions d’actifs dans trois grands groupes : Aéroport de Paris, Engie et… la Française des Jeux.
Le Ministre suit en cela les recommandations du rapport de la BNP-Paris et du cabinet d’avocat Weil, Gotshal et Manges, mandatés par l’Agence de Participations de l’Etat, remis mi-février et qui suggère une baisse de la participation de l’Etat au capital de la FdJ de 72% à 30%.
C’est la troisième tentative de privatisation de la FdJ, après 2009, juste avant l’examen du projet de loi sur l’ouverture à la concurrence des Jeux en ligne et en 2014, le Ministre de l’économie a l’époque en fonction, étant un certain… Emmanuel Macron !
Mais, tous les investisseurs potentiels consultés – dont un grand groupe Français du secteur des Casinos – posent la même condition pour se mettre sur les rangs en tant que nouvel actionnaire majoritaire : une meilleure rentabilité du groupe et des dividendes en hausse. Ils exigent un recentrage exclusif de la FdJ sur ses Jeux les plus lucratifs et ses 26 millions de joueurs et donc l’abandon de sa politique volontariste de soutien au Sport.
En effet, outre une Fondation dotée de 18 millions d’euros qui mène de nombreuses actions (handisport, bourses pour les sportifs de haut niveau, reconversion…) et le soutien à une équipe professionnelle de cyclisme avec Groupama, la FDJ est le 1er contributeur du Sport pour tous, à hauteur de 80% des ressources financières du Centre National de Développement du Sport, via les prélèvements sur ses Jeux de loterie, de grattage et paris sportif. Une contribution de 220 millions d’euros en 2016 ramenée par divers déplafonnements à 118 millions d’euros au projet de loi de finances 2018. Un signal budgétaire précurseur à un éventuel désengagement du Sport ?
Mais ce beau scénario échafaudé par les technocrates de l’APE, soutenu du bout des lèvres par la PDG Stéphane Pallez, va échouer en raison de la mobilisation d’opposants farouches à la privatisation, formant une alliance aussi improbable qu’hétéroclite.
Ce sont les actionnaires minoritaires du monde combattant, l’Union des blessés de la face et de la tête et la Fédération Maginot, qui tirent les premiers, vexés de ne pas avoir été consultés par l’exécutif.
Les buralistes leur emboîtent le pas, inquiets de voir les paris sportifs, facteur de croissance de leur chiffre d’affaires, subir les conséquences d’un désengagement de la FdJ du monde du Sport. Les 2000 salariés du groupe FdJ, eux-mêmes actionnaires, inquiets du sort qui pourraient leur réserver les nouveaux entrants au capital, se mobilisent à leur tour en bloquant un bâtiment de stockage des jeux de grattage près de Roissy.
Le Comité d’organisation des Jeux Olympique, par la voix de son président Tony Estanguet, rappelle solennellement au gouvernement sa lettre d’engagement adressé au Comite International Olympique qui stipule que la FdJ devra financer le COJO à hauteur de 44 millions d’euros, via des tirages spécifiques comme ils existent depuis peu pour le loto du patrimoine…
C’est au tour du président du CNOSF, Denis Masseglia -dont le silence sur la suppression massive des contrats aidés dans les clubs sportifs avait surpris y compris ses plus proches soutiens- de monter au créneau : il défend au nom du Mouvement Sportif la préservation des ressources du CNDS où il siège au conseil d’administration et a son mot à dire dans les décisions votées (subvention aux clubs, équipements sportifs, emplois qualifiés) aux côtés de l’Etat et des représentants des collectivités locales. Ces derniers, AMF, ADF, ARF, ANDES lui emboîtent le pas pour les mêmes raisons.
Plus étonnant au regard de la solidarité gouvernementale, deux ministres font entendre leur différence : Laura Flessel, Ministre des Sports qui a conscience que la contribution financière de la FdJ au Sport représente l’équivalent des crédits budgétaires de l’Etat, n’oublie pas que la FdJ est devenu la première entreprise partenaire du comité de candidature de Paris 2024 en février 2016, et… Gérald Darmanin, tout en faisant jouer sa fibre de Gaulliste social, prend pour la première fois ses distances dans un dossier de Bercy avec son Ministre de tutelle.
Au Parlement, lors de la discussion du projet de loi en commission, les députés de toutes sensibilités s’expriment contre une cession par l’Ett de plus de 40% du capital de la FdJ, en particulier ceux du groupe En Marche qui s’étaient déjà mobilisés pour rétablir les crédits du CNDS amputés de 64 millions d’euros, lors du débat budgétaire fin 2017.
Deux députés, l’une de la majorité et l’autre de l’opposition, auteurs d’un rapport de suivi du Comité d’Evaluation et de Contrôle sur les Jeux d’Argent et de Hasard rappellent la nécessité d’une régulation forte dans ce secteur d’activité et les missions de service public de la FdJ comme la politique de jeu responsable, la prévention des addictions, la lutte contre le blanchiment ou le respect de l’interdiction de jeu aux mineurs qui sont la contrepartie à la reconnaissance de la situation de monopole. Le risque en terme de santé et d’ordre public étant clairement, avec un actionnaire privé puissant, de donner la priorité à la recherche de nouveaux jeux favorisant l’addiction.
Le gouvernement, qui n’a pas de majorité pour voter la privatisation de la FdJ, est obligé de reculer : Bruno Le Maire annonce avant le vote des articles du projet de loi PACTE en séance publique qu’il limite la cession des parts de l’Etat dans la FdJ à 20% et conserve 52% du capital, une opération lui rapportant au final 600 millions d’euros… Le monde du sport peut souffler. Sa mobilisation unitaire a payé et au final, personne ne perd la face.

Ce combat commun aura eu la vertu de rapprocher les fédérations sportives, le CNOSF, les élus nationaux et territoriaux, qui abordent ainsi plus unis la préparation de la loi « Sport et société » prévue en 2019.

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