« Eux aussi font le sport français… » Frédéric Lagneau, fondateur et DG de News Tank Football

Publié le 4 août 2014 à 8h18 dans Eux aussi font le sport français...

Ils sont lobbyiste, DTN, DG d’institution sportive, avocat, chasseur de têtes, DG d’association d’élus locaux, directeur des sports de collectivité territoriale, ou expert du sport business, ils connaissent le sport français, ses enjeux, ses acteurs mais on les entend peu dans les médias.
Olbia le blog a souhaité leur donner la parole afin d’en savoir plus sur leur parcours professionnel, leur vision du sport français, les enjeux de leur institution ou de leur entreprise.

Nous poursuivons notre série « Eux aussi font le sport français… » avec Frédéric Lagneau, fondateur et DG de News Tank Football (http://football.newstank.eu).

Fred debat vignette

Olbia le blog : Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel ?

Frédéric Lagneau : J’ai une formation d’économétrie à la Sorbonne complétée par un cursus audit à l’ESCP et un DEA en finance.
J’ai tout d’abord intégré Arthur Andersen en audit financier avant d’évoluer sur des postes finance et développement, dans de groupes tels que Dell et Alten…
Ensuite, j’ai occupé des fonctions 100% investissement pour le compte d’un important investisseur privé dont j’ai géré les participations en Europe, aux Etats-Unis et au Moyen Orient, et ce, dans des secteurs assez variés: défense, énergie, conseil, immobilier, aéronautique, banque… donc assez loin du sport !

Ces dernières années, j’ai aidé des groupes américains à s’implanter en Europe et ai commencé à conseiller des fonds d’investissement anglo-saxons voulant investir dans la filière sport: j’ai ouvert un bureau à la Maison du Sport International de Lausanne, un lieu stratégique du sport mondial, à deux pas du Comité Olympique.

Etant passionné de politique et d’information, j’ai depuis crée avec quelques associés une agence d’information et de veille stratégique, conçue spécifiquement pour les dirigeants et professionnels de l’économie du sport.

OLB : Vous avez donc lancé récemment cette agence News Tank Football (http://football.newstank.eu & http://football.newstank.ch). Pouvez-vous nous en dire plus ?

FL : Dans les années 2000, en regardant de près les différents formats de sport US (NBA, NHL etc..), j’ai été impressionné par leur puissance de développement, à la fois sur le plan sportif mais aussi sur le plan économique.

Aujourd’hui la filière sport mondiale « flirte » avec les 600 milliards de dollars de revenu mais l’Europe accuse un vrai retard dans ses pratiques professionnelles, qu’il s’agisse des acteurs publics ou privés.

Si l’on veut savoir quelle est la taille du marché du sport en Europe et ses enjeux, il existe toutes sortes de sources d’information. Vous pouvez avoir accès à une masse de données mais très vite, vous réalisez qu’elles sont souvent approximatives -parce que peu ou pas vérifiées- parfois même contradictoires et au final pas exploitables par quelqu’un qui recherche un degré de précision élevé, disons au delà des « tendances » générales… Cela est valable pour les droits médias, les innovations en matière d’activations sponsoring, les mix marketing/produit, le digital media, mais aussi la gouvernance, les pratiques juridiques, la responsabilité sociale etc…

C’est sur ce constat simple que je me suis associé à Dominique Courdier, ex rédacteur en chef à l’Équipe et à France Football et Marc Guiraud, professionnel de l’information et fondateur des agences AEF, pour lancer en septembre 2013 News Tank Football, agence d’information et de veille stratégique, 100% numérique, spécialisée dans l’économie du football, produisant des contenus exclusifs en français et en anglais, sans aucune publicité, ce qui garantit l’indépendance et l’intégrité des contenus.

Nous produisons avec des rédacteurs experts, de l’information utile et qualifiée, à travers des news quotidiennes mais aussi des dossiers et études, des tableaux de bord, des documents de référence etc.. bref toute l’information utile aux dirigeants, à la fois pour leur monitoring quotidien et leur veille stratégique.

Qu’il s’agisse d’un dirigeant de club, fédération, ligue, média, agence, sponsor, équipementier, investisseur, annonceur ou d’un avocat, mais aussi des pouvoirs publics ou des syndicats professionnels… tous ces acteurs ont besoin d’une information rapide, permanente, précise, fiable et détaillée sur un marché en fort développement et en structuration.

Au delà du foot, nous analysons toutes les innovations qui nous paraissent significatives dans les autres sports, quelque soit le pays ou le domaine fonctionnel concerné.

Nous comptons aujourd’hui un peu plus de 2 000 lecteurs –tous dirigeants et professionnels- en Europe, US, Moyen Orient et Asie et nous allons poursuivre notre implantation dans d’autres pays.

OLB : En quelques mots, quel est votre quotidien de Directeur général ?

FL : Je suis en charge de la stratégie, des opérations et du développement de News Tank Football.

En interne, sur le plan éditorial, j’apporte une vision comparée, à la fois économique & financière vis-à-vis de ce que je considère, vous l’avez compris, comme une filière économique à fort potentiel. J’essaie d’impulser le plus de transversalité possible.

En Europe, mis à part en Angleterre et en Allemagne, la filière sport est de culture très associative, ce qui est une caractéristique à prendre en compte.

Je passe donc beaucoup de temps à rencontrer les dirigeants, des clubs notamment, et à leur expliquer qui nous sommes, d’où vient notre produit, sur quoi nous l’avons fondé, quelle est notre éthique, quel est notre métier, et en quoi il est utile. C’est de la pédagogie, parfois de l’évangélisation… je suis moi-même président d’un club de foot, ca aide dans les discussions à se comprendre, mieux et plus vite.

OLB : D’après vous, quels sont les grands enjeux du football mondial dans les années à venir ?

FL : Le foot incarne la puissance financière car il a les plus gros budgets, c’est une sorte de « temple » car c’est le sport avec la plus forte culture et la plus forte identité. C’est enfin une forme de religion, on l’a encore vu avec le naufrage de l’équipe du Brésil et le drame quasi sacré que cela a suscité.

Quand on regarde de près, on voit un maelstrom d’enjeux globaux et locaux qui s’entrechoquent :

Au niveau des instances internationales, le mode d’attribution des compétitions a été largement critiqué et est sans doute critiquable. On le voit avec la Coupe du Monde 2022 au Qatar. Il faudra sans doute une réforme du mode électif et d’attribution. Par ailleurs, la plupart des instances sportives internationales se définissent comme apolitiques, mais elles sont toujours confrontées à l’exploitation politique des pays hôtes.

Les instances, FIFA en tête, jouent de plus en plus le jeu de la transparence financière et travaillent la pédagogie, concernant les programmes d’aide
économique, de compensation, etc… mais là encore, certaines décisions ou financements sont parfois surprenants et demanderaient à être plus explicités.

La communication sur le coût et la rentabilité des évènements sportifs est aussi un enjeu crucial: combien coûte vraiment l’organisation d’une Coupe du monde et combien cela rapporte? Combien d’emplois réels? à court terme ? à long terme ?

Par ailleurs, l’économie du foot est majoritairement européenne (c’est là que sont les plus gros budgets), mais nos gouvernances sont très éclatées. C’est une faiblesse, dont l’une des conséquences les plus dommageables est la fragilité financière des clubs.

Stabilisation des rapports entre les instances, développement des revenus et assainissement des finances des clubs devraient être les objectifs prioritaires au profit de la filière globale. C’est le cas des ligues américaines dont les modèles sont étonnamment collectivistes, quitte même à enfreindre le droit à la concurrence! En Europe, c’est l’inverse et il n’y a, pour compenser notre incapacité à s’entendre au niveau collectif, aucune démarche concertée et efficace des clubs européens. Chacun y va de son intérêt particulier.

La conséquence est qu’iI n’y a jamais eu autant d’argent dans l’économie du football mais que les acteurs au centre du jeu -les clubs- sont déficitaires et endettés. Il y a très peu de modèles stables et rentables, sauf dans des cas particuliers, comme Arsenal ou le Bayern Munich, qui sont les exemples d’un modèle sain : celui de l’intégration et de l’exploitation des droits, avec des clubs jouissant de la propriété de leurs stades. Ils sont autofinancés, dégagent d’importants bénéfices à partir de revenus diversifiés, et engrangent même des réserves financières considérables. Le Real et le Barca ne sont pas je crois des modèles économiques d’avenir : ils sont lourdement endettés et condamnés à vendre chaque année des tonnes de produits dérivés pour survivre, grâce, il est vrai, une puissante machine marketing et à leur socios indéboulonnables. Ce sont des modèles impressionnants mais fragiles car court-termistes.

Michel Platini a eu le courage de mettre le holà à cette dérive d’endettement des clubs en impulsant le « Fair Play financier » . Certains critiquent cette initiative courageuse au motif qu’elle ne tiendrait pas compte précisément de l’endettement des clubs. Je pense vraiment qu’il faut la saluer, même si la solution serait sans doute de faire converger progressivement Fair-Play financier et une forme de DNCG européenne.

On fait face en parallèle à une bulle spéculative ahurissante sur les rémunérations des joueurs et les montants de transferts. Sans doute une régulation des salaires type « salary cap » telle que pratiquée aux US dans d’autres sports, mais aussi à l’AS Saint Etienne, exemplaire en la matière, est nécessaire, ainsi qu’une réforme de l’intermédiation (le système des agents) et l’interdiction de la tierce propriété des joueurs, qui permet à des fonds privés, donc des personnes morales, de devenir propriétaires de joueurs. Cela génère de la spéculation, un risque de corruption et de trucages de matchs (quand un fonds est propriétaire de plusieurs joueurs dans des équipes qui s’affrontent) et surtout c’est intenable éthiquement. C’est interdit en France, mais autorisé dans d’autres pays européens, et surtout très répandu en Amérique du Sud.

On peut également souligner la bulle spéculative relative aux droits médias: les montants sont de plus en plus élevés et les diffuseurs exclusivement nationaux, aux budgets limités, n’arrivent plus à s’aligner face à des diffuseurs globaux qui de plus, se concentrent: on s’oriente vers une privatisation totale de l’offre, à quelques exceptions près. Des droits médias élevés sont certes une tendance positive car cet argent est réinjecté dans l’économie des clubs. Mais la privatisation croissante de l’offre TV va inévitablement faire grincer des dents.

Je termine par un point plus « sociologique » : S’il est vrai que quelques footballeurs gagnent très bien leur vie, on oublie que beaucoup de joueurs
« vivotent » du foot ou que certains d’entre eux n’ont même pas de contrat !
C’est un univers mal compris du grand public qui ne voit que quelques joueurs très médiatiques et très bien payés, mais c’est aussi un monde très concurrentiel, exigeant une surperformance constante et ce dans un cycle court car les carrières sont brèves. Selon une étude de la Fifpro, 26% des joueurs en activité souffrent de troubles d’anxiété et de dépression. Et je connais des joueurs ou des anciens joueurs dont la situation est très modeste. Le problème de la reconversion des joueurs est aussi un vrai enjeu.

La RSE, l’inclusion des femmes et des minorités sont aussi les grands chantiers de demain, et pour l’instant on en est encore au niveau de l’intention ou du témoignage symbolique.

OLB : Si demain vous étiez nommé ministre des sports, quelle serait votre première mesure ?

FL : Encourager ce pays à devenir un véritable pays global de sport, sur trois plans : la pratique, l’économie et la culture.

Concernant la pratique, on peut dire que ca va. On a des valeurs individuelles remarquables et des sportifs de très haut niveau, et souvent exemplaires. Nous avons aussi des fédérations, du foot au tennis, en passant par l’équitation, le basket, le judo ou le tennis de table, qui rassemblent au total des millions de pratiquants.

Malheureusement, on a du mal à conjuguer en France sport et culture et également sport et économie. Or le sport, c’est bien plus que de la pratique sportive. On continue à opposer stérilement la catégorie de « l’intellectuel » (une création française) et la catégorie du sportif. Dans cette opposition, le sport ne serait au mieux qu’un loisir ou un outil de « canalisation » des jeunes, quand il est dans de nombreux autres pays, dont les Etats-Unis, un outil de sélection des élites, un outil de cohésion nationale, un outil de développement économique.

Car le sport permet de cultiver des valeurs cardinales comme le respect de l’autre, le dépassement de soi, la persévérance. Il n’y a qu’à relire Camus, pour qui le foot, c’est tout simplement l’école de la vie. Le sport se raccroche à notre patrimoine historique et culturel, à travers sa dimension éthique, sa force d’intégration, la diversité des pratiques sportives selon les régions, de la pelote basque au ski alpin en passant par le vélo un peu partout, notamment en Bretagne ou dans le Nord. Le Tour de France, filmé comme il l’est aujourd’hui, est une exceptionnelle vitrine touristique et culturelle. Le développement des sports outdoor -du canyoning au trail running- est un bon signe et un encouragement à l’association du sport et de la culture.
Festival des Templiers, Sainté-Lyon, triathlon des gorges de l’Ardèche… trail runnings au milieu des vignes en Bourgogne ou dans le Bordelais… ces nouveaux formats incitent à la fois au sport et à la culture grâce à la découverte, ou la redécouverte, du patrimoine culturel. Et ils naissent de l’initiative de passionnés locaux, pas d’une politique centralisée.

Deuxième opportunité : on ne considère pas que le sport puisse être une filière économique sérieuse. Pourtant, les chiffres sont impressionnants : le sport en France génère 34 milliards d’euros de revenu, soit près de 2% du PIB. Qui le sait ? Le sport est le premier producteur de spectacle vivant et le premier vendeur de billets. Des petites sociétés françaises sont des mines d’innovations technologiques et conquièrent les marchés étrangers, même US. Le taux de croissance de cette économie oscille entre 4% et 5% ! A l’heure où la priorité est l’emploi, cette filière devrait être prise à bras le corps par les pouvoirs publics.

L’organisation de l’Euro 2016 en France et la possible candidature de Paris aux JO 2024 sont autant d’opportunités, ou de trains, qu’il ne faudra pas rater…

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